Réseau des centres d'excellence en téléapprentissage du Canada (RCE-TA)

Une communauté de pratique en réseau : le forum de discussion et la base de connaissances des inspecteurs de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) 1996-1999

 

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Étude de cas soumis aux partenaires suivants :

 

Jean Benoit et Thérèse Laferrière

TACT (Téléapprentissage communautaire et transformatif), Université Laval, Faculté des sciences de l'éducation

 

Version mise à jour : 7 décembre 2000

SOMMAIRE

TEXTE ABRÉGÉ

 

INTRODUCTION

Mise en contexte :

DESCRIPTION DE L’ENVIRONNEMENT DE TRAVAIL ET HISTORIQUE DU FORUM DE DISCUSSION DES INSPECTEURS

MANDAT ET OBJECTIFS DE L’ÉTUDE DE CAS

ASSISES THÉORIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES

HYPOTHÈSES DE TRAVAIL, ATTRIBUTS ET PROPRIÉTÉS DES FORUMS DE DISCUSSION

ANALYSES QUANTITATIVES ET QUALITATIVES DU FORUM DE DISCUSSION DES INSPECTEURS ET DE LA BASE DE CONNAISSANCES INFORMATION EN PRÉVENTION ET INSPECTION

CONCLUSION

NOTES

BIBLIOGRAPHIE

 

ANNEXE 1. Répartition détaillée des interactions du forum de discussion des inspecteurs selon la fonction et la participation (1998-1999)

ANNEXE 2. Répartition détaillée des interactions du forum de discussion des inspecteurs selon la région, la fonction et la participation (1998-1999)

ANNEXE 3. Répartition détaillée des interactions du forum de discussion des inspecteurs selon la temporalité (1998-1999)

ANNEXE 4. Ventilation détaillée de la fréquence des réponses soumises par rapport aux questions posées à l’intérieur du forum de discussion des inspecteurs (1998-1999)

ANNEXE 5. Répartition sommaire des messages et publications enregistrés dans la base de connaissances Information en prévention et inspection selon la fonction (1996-1999)

ANNEXE 6. Répartition détaillée des messages et publications enregistrés dans la base de connaissances Information en prévention et inspection selon la région (1996-1999)

ANNEXE 7. Questions posées lors des entrevues visant à recueillir les rétroactions d’acteurs organisationnels ayant participé au forum de discussion des inspecteurs, janvier 2000

INTRODUCTION

Mise en contexte :

 

 

Dans le cadre d’un projet financé par le Bureau des technologies d’apprentissage (BTA), l’Équipe TACT de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, affiliée au Réseau des centres d’excellence en téléapprentissage du Canada (RCE-TA), le Centre francophone d’informatisation des organisations (CEFRIO) et la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec (CSST) ont décidé, d’un commun accord, de mener une étude de cas sur une des pratiques en réseau de cette organisation publique vouée à la santé et à la sécurité au travail. Véritable pionnière dans le domaine de l’application des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) à des fins organisationnelles, la CSST a introduit, depuis le milieu des années 1990, divers outils d’échange devant favoriser la coopération et la collaboration en réseau de même que la construction des connaissances pour son propre bénéfice. Ces outils technologiques ont servi sa mission sociale tout comme ils ont favorisé l’action de ses officiants chargés d’appliquer, au quotidien, son mandat. À une époque où les bouleversements technologiques ne cessent d’inciter les organisations à s'interroger sur de nouvelles façons de faire, cette étude de cas d’une pratique en réseau cherche, sans doute, à tracer un premier bilan, un bilan somme toute très sommaire, d’un mode de fonctionnement particulier apparenté aux usages d’une organisation qui échange et travaille virtuellement. En filigrane se dessine donc un questionnement inductif sur la constitution de ses réseaux d’expertise et de l’émergence d’une forme d’intelligence collective distribuée. L’étude de cas renvoie ainsi à une conjecture et à une conjoncture uniques, celles intrinsèquement liées au choix que la CSST a endossé stratégiquement, celles des moyens et de la vision qu’elle a adoptés pour atteindre des objectifs organisationnels réalistes et pérennes.

Comme le titre l’indique, il est question, ici, d’une étude de cas, donc, d’une seule pratique en réseau. Des contraintes de temps et la masse considérable de transcriptions issues des nombreux sites de collaboration de la CSST expliquent en soi le choix de cette stratégie. Après avoir scruté l’environnement de l’organisme-hôte, lors de rencontres préparatoires, les parties concernées (l’Équipe TACT, le CEFRIO et la CSST) se sont entendues pour retenir le forum de discussion des inspecteurs, qui est vite apparu, aux yeux de tous, comme un bel exercice de déploiement des compétences et d’intelligence collective en vue de partager de l’information et des résolutions de problèmes. Cette décision est d’autant plus valide du fait que ce groupe de professionnels – les inspecteurs – ont été au centre du changement de cap amorcé par la CSST à partir de la fin de l’année 1992. Comme pour tous les autres travailleurs dans leurs secteurs d’intervention respectifs, la nouvelle trajectoire corporative a substantiellement modifié les façons de faire la prévention et l’inspection dans les milieux de travail. Promouvoir la prévention et convaincre de se prendre en main pour éliminer les dangers à la source, soutenir les initiatives préventives, offrir de l’expertise et des services prennent désormais le pas sur les actions plus coercitives de la contrainte et de l’imposition, bien que, dans certains cas, ces dernières soient encore requises. Force est d’admettre que l’approche-client de la CSST a créé de nouveaux espaces de coopération et de collaboration au sein d’une pratique qui était auparavant fondée sur des points de vue procéduriers et légalistes.

Deux publications, l’une provenant de l’institution même (CSST, 1996a), l’autre des travaux de Jean-Paul Lafrance (Lafrance, 1998), expliquent fort bien le changement de cap opéré par la CSST. Face à une conjoncture défavorable (déficit accumulé, insatisfaction de la clientèle, perte de crédibilité, démotivation du personnel), cette organisation publique a revu et rectifié, à partir de 1993, toutes les façons de faire requises pour remplir sa mission sociale, promouvoir et assurer la santé et la sécurité au travail, et son mandat juridique et corporatif, appliquer la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles et offrir une mutuelle d’assurance à tous les travailleurs québécois. Elle s’est donc engagée dans une voie innovatrice pour "Agir… là où ça compte", comme elle l’énonce si bien dans sa présentation stratégique (CSST, 1996a, p. 3).

Améliorer le service à la clientèle et rétablir une crédibilité professionnelle tant du point de vue du travailleur que de celui de l'employeur; assainir les finances, rétablir un équilibre budgétaire pour parvenir à diminuer les taux de cotisation; modifier et transformer la culture organisationnelle de façon à implanter et à instaurer un climat de confiance permettant la concertation, la coopération, la collaboration et le travail en équipe, tel fut le menu auquel la CSST convia son personnel, ses partenaires et sa clientèle. Elle invita ainsi toutes ses ressources à un vaste exercice de consultation devant déboucher, à court terme, à un réalignement de toute l’organisation, voire à une refonte complète de sa culture d’entreprise.

Se concerter en équipe et travailler ensemble en vue d’assumer au quotidien les obligations, les rôles et les responsabilités engendrées par la mission et le mandat de l’organisme est sûrement l’articulation centrale, la source de toute cette transformation structurelle. Pour y parvenir, la CSST s’est dotée d’un intranet géré à partir de LotusNotes ( 1 ). Des forums de discussion ont été organisés et des bases de connaissances ont été créées. Le forum de discussion des inspecteurs s’intègre dans cette foulée; il est une des résultantes du réalignement décrit plus haut.

Au sein de ce dernier processus, c’est tout l’esprit de la prévention et de l’inspection qui a été revu et rectifié conjointement par les gestionnaires et les inspecteurs lors des tables interservices-présidences mises en place pour dessiner une nouvelle trajectoire organisationnelle. Convaincre du bien-fondé de la prise en charge de la prévention et de l’inspection, la promouvoir, la soutenir auprès des entreprises adhérentes, contraindre, le cas échéant, de façon coercitive, les récalcitrants à assumer leurs responsabilités sociales et à respecter la loi et les règlements sont ainsi devenus des mots d’ordre pratiquement incontournables. Le travail des 290 inspecteurs actuellement à l’emploi de la CSST s’est considérablement transformé en quelques années. À la dispersion, la dévalorisation, la perte d’expertise et de leadership, le manque de planification, de suivi et de rétroaction de la fonction prévention et inspection ont succédé de nouvelles variables et paramètres axés principalement sur la cohérence dans l’action, l’interrelation des fonctions, un meilleur accès à l’expertise, un encadrement et un soutien administratif plus soutenus pour permettre aux inspecteurs de remplir, de façon plus efficace, leurs fonctions et responsabilités organisationnelles et sociales.

De concert avec les inspecteurs, la CSST a élaboré, planifié et appliqué des stratégies exécutoires afin que l’organisation puisse mieux exploiter son capital "connaissance et expertise" dans le créneau de la promotion et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles et l’inspection des milieux de travail tout en ne trahissant pas ses trois grands objectifs organisationnels : 1) la gestion d’une loi et ses règlements qui privilégie une approche-client soutenue et facilitée par une meilleure communication entre les divers intervenants institutionnels et les entrepreneurs; 2) la gestion d’une organisation qui se veut désormais plus "organique" par la constitution de réseaux de coopération et de collaboration à l’interne comme à l’externe; 3) la gestion d’une organisation du travail plus dynamique et plus synergique par l’introduction de nouvelles pratiques supportées par les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Informer, consulter et collaborer au même titre que partager et se concerter sont ainsi devenus au fil des ans plus qu’une devise; ces verbes se sont matérialisés dans une pratique quotidienne, à travers de nouveaux modes de coopération et de collaboration. Le forum de discussion des inspecteurs, désigné sous le vocable l'"Appel à tous", représente ainsi un volet particulier de ce renouveau organisationnel. Il apparaît comme le témoin privilégié d’une vision partagée du présent où l’organisation trace, au fil des pratiques quotidiennes, une trajectoire évocatrice de son devenir.

Sommaire

 

 

Dans un premier temps, nous proposons au lecteur d’explorer l’environnement virtuel de travail des inspecteurs. Pour ce faire, nous décrirons sommairement ses principaux outils de connaissances puis nous présenterons un bref historique de la pratique réalisée au cours des deux premières années de la mise en service du forum de discussion des inspecteurs. Une fois cette tâche accomplie, nous exposerons, dans un deuxième temps, les mandats et les objectifs de l’étude de cas, ce à quoi elle souscrit en termes d’avenues exploratoires et de finalités scientifiques. Dans un troisième temps, nous soumettrons succinctement nos assises théoriques et méthodologiques. Nous en profiterons pour introduire plusieurs concepts stratégiques (gestion des connaissances, capital intellectuel, communauté d’intérêt, communauté de pratique, vision partagée, résolution commune de problèmes en réseau, mémoire consignée et commémorative, intelligence collective) qui insufflent, aux notions de coopération et de collaboration, une vitalité toute relationnelle d’échange, d’entraide et de partage au quotidien. Nous soumettrons, par la suite, nos hypothèses de recherche en exposant sommairement des énoncés qui précisent et décrivent, d’une façon générique, les attributs et les propriétés d’un forum de discussion supporté par un réseau électronique devant être utilisé à des fins de co-apprentissage de connaissances tacites et explicites et de co-construction résolutoire de problèmes complexes. En procédant à des analyses quantitatives et qualitatives, dans un dernier temps, nous pourrons vérifier le bien-fondé et l’exactitude de nos hypothèses tout en évaluant et en qualifiant l’expérience organisationnelle et l’expérimentation vécue par cette communauté associée à la fonction prévention et inspection de la CSST. Dans la dernière section de cette étude, nous présenteront nos conclusions sur cette pratique interactive ( 2 ).

Sommaire

DESCRIPTION DE L’ENVIRONNEMENT DE TRAVAIL ET HISTORIQUE DU FORUM DE DISCUSSION DES INSPECTEURS

 

 

L’environnement de travail virtuel des intervenants en prévention et inspection est constitué de quatre principaux blocs, quatre modes complémentaires d’accès à l’échange, à la construction et au partage des connaissances et des pratiques en cours. On y retrouve un forum de discussion que les utilisateurs dénomment l' "Appel à tous", une base de connaissances identifiée sous le vocable les "Domaines questionnés", une autre intitulée "Information en prévention et inspection" et une dernière que l’organisation appelle la "Banque de connaissances : Prévention et inspection".

Outils de gestion des connaissances en prévention et inspection

Partage de connaissances

 

Comme ce schéma le montre, l’univers de la prévention et de l’inspection à la CSST est plurifonctionnel. Le forum de discussion représente à coup sûr le principal espace virtuel de collaboration, celui par lequel les questionnements, les réponses et les interactions sur les pratiques et la construction des connaissances sont diffusés, partagés et appropriés à travers les activités quotidiennes et les mandats organisationnels de cette communauté. Tout intervenant, tout acteur autorisé se voit solliciter pour questionner ou répondre à ses pairs de façon volontaire. Toutes questions et réponses incluent généralement un intitulé décrivant sommairement l’objet de la requête adressée ou de la solution proposée. Les questionnements sont aussi assujettis à des dates d’échéance, des balises qui signalent ordinairement les prescriptions temporelles requises à l’énoncé d’une réponse. Demandes d’informations administratives et techniques, recherches de fournisseurs d’équipements spécialisés, expositions de problématiques complexes impliquant des risques d’accidents ou des accidents de travail, avis et conseils sur une interprétation adéquate des lois, normes et règlements, argumentaires et commentaires fondés sur l’expérience vécue d’incidents et d’événements similaires et références aux dossiers et/ou aux personnes-ressources constituent alors les principales interactions de ce forum.

Les données générées par le forum sont compilées, classées et indexées au sein d’une première base de connaissances, celle des "Domaines questionnés". Au moyen de descripteurs signalétiques (Allergie, Aménagement de postes, Appareils de levage, Bruits et vibrations, Chantiers de construction, Échafaudage, etc.), cette base de connaissances permet à la communauté de tous les participants de la fonction prévention et inspection de repérer plus facilement les questions posées et les réponses enregistrées. Telle une mémoire consignée et commémorative, les "Domaines questionnés" remplissent une fonction de conservation et de préservation des avenues résolutoires proposées et soumises à la communauté; c’est un lieu de mémoire, celui d’un passé tout récent, d’un présent s’accomplissant, d’un futur en gestation et en devenir. Néanmoins, puisque cet archivage est un clone du forum de discussion, nous l’exclurons de l’étude de cas d’autant plus que la classification et l’indexation s’arrêtaient en 1997 au moment où nous avons dépouillé le corpus documentaire en décembre 1999.

Une seconde base de connaissances intitulée "Information en prévention et inspection" se greffe à cet environnement de travail. Elle est constituée de données diversifiées : événements relatant des refus de travail de même que des décisions rendues par les inspecteurs – une problématique usuelle à leurs fonctions –, incidents décrivant des accidents de travail ou des risques potentiels d’accidents et leurs suivis administratifs, avis techniques sur des équipements spécialisés, reproduction de bulletins ou de documents sur la santé et la sécurité au travail, de guides et de fiches techniques, références à des constats d’infraction, à des avis de correction, à des rapports d’enquête, à des initiatives régionales, à des programmes d’intervention, à des notes de service, à des comptes rendus de réunions paritaires, de groupes de travail, de congrès. Toutes ces informations sont déposées au gré des besoins et de façon volontaire par les membres appartenant à cette communauté. Ces propos soutiennent directement les interpellations soulevées par le forum de discussion. À l’instar des "Domaines questionnés", cette base de connaissances se voit attribuer une fonction mémorielle, un rôle de préservation et de conservation.

Le quatrième élément de cet environnement de travail, celui désigné sous le vocable de "Banque de connaissances en prévention et inspection", est beaucoup plus institutionnel. Cette banque de connaissances est constituée de documents techniques souvent élaborés par des officiants provenant des unités centrales, du personnel ayant pour mission et mandat le soutien aux régions et aux usagers. Bien que complémentaires au travail s’effectuant sur le terrain, les informations consignées sont considérées plus souvent qu’autrement comme étant de nature générique. Son contenu témoigne d’un caractère plus officiel qui cherche à uniformiser les usages et les modes d’opération pratiqués en région et sur le terrain de l’intervention (CSST, 2000a). Les informations complètent et soutiennent, selon les circonstances, les questionnements exposés dans le forum de discussion sans pour autant se voir accorder une position prépondérante dans la recherche de résolutions plus innovatrices. De plus, ces documents sont impersonnels, car les auteurs ne sont pas identifiés. Pour ces raisons, nous exclurons cette banque de connaissances de la présente étude de cas. En fait, elle reflète peu les interactions amenant les acteurs principaux à proposer des solutions à des problèmes complexes généralement distincts et uniques dans le temps et l’espace; elle est pratiquement ex situ aux activités quotidiennes de la prévention et de l’inspection dans les divers milieux de travail ( 3 ).

Sous cette perspective, nous nous attarderons ainsi davantage au forum de discussion des inspecteurs et à la seconde base de connaissances intitulée "Information en prévention et inspection". Comme la CSST a déjà compilé des statistiques pour les années 1996 et 1997 (CSST, 1998), l’étude de cas recensera et analysera les interactions du forum de discussion des inspecteurs qui ont eu lieu au cours des années 1998 et 1999. Vingt-quatre mois d’activité en réseau seront donc considérés pour tenter de faire ressortir les attributs et les propriétés de ce forum afin de mieux comprendre les tenants et aboutissants d’une pratique, soit celle associée à la communauté des intervenants en prévention et en inspection. Dans le second cas, à titre d’indicatif complémentaire, nous étudierons l’ensemble de la seconde base de connaissances, c’est-à-dire les documents d’information ayant été déposés sur une période de quatre ans, soit de 1996 à 1999 inclusivement. L’historique proposé se limitera donc au forum de discussion des inspecteurs de la CSST.

Sommaire

 

 

Créé en 1996, le forum est cet outil de partage de connaissances qui a eu comme impact de réseauter, entre eux, les chefs d’équipe de la prévention et de l’inspection et les inspecteurs avec les autres intervenants impliqués dans le traitement des différents dossiers à l’interne (analystes, agents de recherche, chargés de projets, gestionnaires de services, gestionnaires de support et de soutien aux régions et aux usagers, spécialistes en ergonomie, bibliothécaires, spécialistes et conseillers en prévention et en inspection, directeurs des services de la santé et de la sécurité). Il a permis d’exploiter le capital intellectuel de toute une organisation désormais mis au service de la fonction prévention et inspection. Tout cet effort concerté a engendré une hausse de la qualité et de l’efficacité de sorte que la CSST a pu résoudre plus rapidement des cas et des problèmes complexes qui requéraient auparavant de vastes ressources humaines et financières quelquefois improductives ( 4 ).

Efficacité et simplicité sont les principaux attributs qui avaient guidé les décideurs lors de sa phase de démarrage en 1996. Bénéficiant des usufruits du secteur de la réparation, de l’indemnisation et de la réadaptation qui avait servi de premier terrain d’expérimentation, le forum de discussion des inspecteurs s’est articulé autour d’une connaissance des modes d’emploi déjà éprouvés. On avait effectivement réussi à identifier quelques "champions" au sein des directions régionales pour constituer un premier groupe restreint chargé de mettre en pratique les vertus que devait procurer cet outil virtuel. Tributaire de la nouvelle culture organisationnelle, orientée vers une approche-client, le forum de discussion des inspecteurs s’instituait dans une optique de support aux principaux acteurs engagés dans la pratique quotidienne de la promotion et du soutien de la prévention de la santé et de la sécurité au travail. À la suite d'échos favorables, une campagne de sensibilisation et de recrutement, à l’échelle provinciale, s’amorçait au cours de l’année 1996. La table était alors mise pour faire fructifier l’interrelation entre les membres participants et ainsi greffer au réseau informel téléphonique un réseau parallèle, tout aussi privé que le premier, mais comportant désormais des propriétés publiques inévitables et, somme toute, vivement souhaitées par l’organisation (CSST, 2000a).

Un an après sa mise sur peid, le forum des inspecteurs présentaient déjà en 1997 quelques statistiques significatives. Cent cinquante-quatre questions avaient été posées sur une multitude de sujets : appareil de levage, bruit et vibration, chantier de construction, équipements de protection individuelle, équipements de sécurité, ergonomie, espaces clos, explosifs, mines, moyens de protection, programmes d’intervention, qualité de l’air, signalisation routière, substances dangereuses, travaux dangereux, travaux en hauteur. Chaque question avait reçu une moyenne de 2,3 réponses et, en moyenne, 10,5 jours avaient été requis pour mener une discussion à terme. Une banque vivante de références et d’expertise en prévention et inspection était ainsi constituée tout en couvrant un large éventail de disciplines scientifiques : le génie électrique, le génie mécanique, le génie minier, le génie civil, le génie forestier, le génie chimique, le génie géologique, la biochimie, l’agronomie, l’ergonomie.

Au fil des jours et des interactions, une valeur ajoutée s’était greffée à la pratique de la promotion et du soutien à la prévention et à l’inspection. Que l’on soit autorisé à participer activement aux délibérations du forum ou que l’on soit confiné à un rôle de spectateur, pour chaque officiant, indépendamment de son affiliation régionale, il était désormais possible d’expérimenter ou de procurer une accessibilité à la connaissance, à l’expertise, à travers le forum de discussion des inspecteurs, mais également à partir de la base de connaissances "Information en prévention et inspection" (CSST, 2000b). Aux anciens réseaux informels édifiés au hasard des référents institutionnels, des rencontres et des affinités en face-à-face se substituait un réseau semi-public construit autour du volontariat, de la coopération et de la collaboration, un réseau de communication et d’échange toutefois circonscrit à un ensemble défini de travailleurs.

De fait, en 1999 (CSST, 1999c), le forum des inspecteurs répertoriaient 228 personnes habilitées à poser et à répondre à des questions et 718 employés ayant accès au forum en mode lecture. De ces 228 personnes, 152 étaient directement rattachées aux opérations prévention et inspection ( 5 ) et 31 provenaient des unités centrales associées à cette fonction stratégique, 31 étaient issues du secteur des opérations extérieures à la prévention et à l’inspection et 15, d’unités centrales qui supervisaient d’autres fonctions que la prévention et l’inspection. Pour l’organisation, en examinant le chemin parcouru, le pari de 1996 était devenu une réalité fonctionnelle.

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MANDAT ET OBJECTIFS DE L’ÉTUDE DE CAS

Cette étude de cas s’inscrit dans une problématique plus vaste, celle d’explorer, de prospecter et d’approfondir en coopération et en collaboration, grâce à un usage réflexif, les ressources, les moyens et les outils d’une communauté en réseau et d’identifier, pour le bénéfice de divers milieux de travail, les pratiques virtuelles les plus prometteuses pour établir une construction et un partage efficaces des compétences requises à une résolution de problèmes et à un renouvellement des compétences. La CSST, le CEFRIO et l’Équipe TACT se sont concertés pour retenir le forum de discussion des inspecteurs pour montrer à d’autres acteurs institutionnels les usufruits potentiels d’une activité virtuelle basée sur la coopération et la collaboration à des fins de co-apprentissage, de co-expertise et de co-travail. Notre volonté d'analyser les attributs et les propriétés de ce forum de même que ses contraintes et ses limites s'est d'abord traduite par les interrogations suivantes :

 

 

 

 

 

 

 

Il s’agit donc de brosser un portrait fidèle des réalisations depuis la création de la base de connaissances "Information en prévention et inspection" et la phase de consolidation du forum de discussion des inspecteurs, d’en comprendre et d’en exposer la portée par rapport au réalignement culturel entrepris par la CSST au cours des premières années de la décennie précédente. Il est aussi question de pouvoir exhiber un premier mode de fonctionnement d’une communauté soutenue par un réseau électronique, une denrée excessivement rare dans le paysage québécois actuel. Ce forum de discussion et sa base de connaissances affiliée deviennent ainsi des témoins privilégiés et révélateurs d’une toute nouvelle façon de faire. Ils confèrent à cette étude un nouveau souffle pour investir le quotidien à travers la virtualité des NTIC. À nous donc d’en prospecter les abords afin de tracer une topographie de ses us et coutumes pour le profit de la CSST elle-même et de tous ceux qui s'intéressent présentement à l’efficacité des environnements de travail en temps asynchrone.

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ASSISES THÉORIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES

Au cours de la dernière décennie, de nouveaux concepts sont apparus dans le domaine de la gestion organisationnelle : gestion des connaissances, capital intellectuel, vision partagée, résolution de problèmes en réseau, mémoire consignée et commémorative, intelligence collective. Tous renvoient à la notion de communauté de pratique qui apparaît au début de la décennie de 1990, avec la publication de la recherche de John Seely Brown (Brown et Duguid, 1991; Brown et Gray, 1995; Brown et Duguid, 2000), sur les réparateurs de photocopieurs, à l’emploi de Xerox (Orr, 1996). Un de ces constats était que l’information stratégique, celle qui était porteuse de sens et de significations par rapport à la pratique de réparer des photocopieurs, se communiquait de façon informelle entre les employés. Le savoir tacite, celui issu de la connaissance et de l’expérience, était acquis à l’extérieur des salles de cours utilisées pour donner la formation initiale ou les séances de perfectionnement. Une véritable construction des connaissances se déroulait près de la photocopieuse ou de la fontaine , à quelques pas, parfois, du lieu où on entraînait formellement et méthodiquement les réparateurs de photocopieurs.

Sensiblement à la même époque, Jane Lave et Etienne Wenger (Lave et Wenger, 1991) publiaient une étude phare sur l’importance de l’accompagnement et de l’encadrement requis à l’apprentissage d’une pratique professionnelle. Un concept régénérateur, celui de la participation légitime périphérique (legitimate peripheral participation), démontrait que tout aspirant à une pratique professionnelle devait pouvoir transiter par des zones d’incubation lui permettant d’expérimenter graduellement diverses facettes d’une pratique avant d’être considéré comme un professionnel. Tout le courant "situationniste", développé par la suite, a insisté d’ailleurs sur le contexte signifiant d’un apprentissage situé (situated learning). Dans un environnement se rapprochant le plus possible d’une réalité professionnelle, le novice était plus apte à acquérir les connaissances, les habiletés, les attitudes requises à l’exercice d’une pratique. Cette approche de l’apprentissage situé se conjugait très bien à celle favorisant une résolution de problèmes dans un contexte particulier et par rapport à un domaine donné (problem-based learning et anchored instruction).

Sous cette perspective, l’initiation à une pratique professionnelle trouvait formellement tout son sens. De là, l’investigation plus complète faite par Wenger (1998), à partir du milieu des années 1990. Selon cet auteur, la pratique, comme l’apprentissage et le travail, étaient intimement liées à des processus générateurs de sens et de significations négociées en coopération et en collaboration. L’autre, l’enseignant et le pair, le superviseur et le collègue, devenait une partie intégrante des processus, car tous ces acteurs contribuaient ensemble à la résolution d’un cas, d’une question ou d’un problème relié à une pratique définie, elle-même assujettie, dans le temps, à un échéancier prédéterminé. Cette approche novatrice s’est poursuivie, en parallèle, à travers les travaux de Thomas Davenport et Larry Prusak (Davenport et Prusak, 1997; Davenport et Prusak, 1998). Issues du courant de la gestion des connaissances au sein des organisations (knowledge management), leurs recherches ont démontré qu’une organisation devenait collectivement " intelligente " lorsqu’elle était capable de mettre quotidiennement en réseau tous les acteurs d’une pratique définie pour qu’ils co-construisent et co-produisent, dans un échéancier prescrit, des connaissances menant à des résolutions de problèmes se voulant plus efficaces et plus innovatrices.

Sous ce cadre, les NTIC, en l’occurrence, les forums de discussion en temps asynchrone, ont servi de principaux exécutoires à un dessein devant être obligatoirement négocié ou, à tout le moins, partagé en collectivité. Une prémisse ressort évidemment de cet ensemble : celle de la communauté initiée à des fins d’apprentissage et de travail en réseau. Selon les conjectures et les conjonctures, cette notion de communauté virtuelle, ce concept générique, peut se voir attribuer différents vocables : communauté d’intérêt, communauté d’apprentissage ou communauté de pratique.

À cet égard, les communautés d’intérêt ont un même point d’ancrage : celui de communiquer et d’échanger sur des sujets communs de la vie ou du travail. Le cyberespace en regorge sous de multiples formes. Les communautés d’apprentissage se confinent davantage aux actes d’enseigner et d’apprendre en réseau. C’est le domaine de l’institutionnel, des lieux d’éducation, du scolaire, des connaissances explicites expérimentées en vue de s’initier à une pratique professionnelle. Les communautés de pratique, quant à elles, se forment dans le sillage des pratiques quotidiennes de l’apprentissage et du travail au sein des institutions ou des organisations; elles renvoient généralement à la formation continue et au savoir tacite.

À quelle enseigne loge le forum de discussion des inspecteurs de la CSST ? Là réside la véritable question que l’on doit se poser. Cette communauté emprunte à deux formes communautaires. En partie, elle se réfère à la communauté d’intérêt par le caractère statutaire, ouvert et élargi de son forum; en partie, elle renvoie à une communauté de pratique par les objectifs communs que les participants cherchent à atteindre à travers leur pratique respective et les moyens et les stratégies dont ils se dotent pour offrir virtuellement à leurs pairs des réponses résolutoires.

De fait, la fonction en prévention et inspection n’évolue pas en vase clos. Regroupant une foule d’intervenants, elle est arrimée à une politique de gestion qui favorise, promeut et établit des rapports de coopération et de collaboration entre les officiants eux-mêmes et leur clientèle, les employeurs et les travailleurs (CSST, 1996b). À travers une pratique quotidienne, les participants s'échangent de l’information; ils apprennent à résoudre des problèmes complexes en réseau; ils diffusent, par le forum de discussion, des connaissances explicites et tacites, souvent issues d’une expérience vécue et personnelle, qui consolident et dynamisent l’action des uns et des autres sur le terrain de l'intervention.

À travers leurs interactions inévitables avec l’infrastructure interne et externe (directions régionales, centre administratif, siège social, ASP [Associations sectoriels paritaires], régies régionales, IRSST [Institut de recherche sur la santé et la sécurité au travail]), les inspecteurs se joignent virtuellement à un premier regroupement communautaire, celui d’une communauté d’intérêt. Ils en partagent le même langage, les mêmes codes, les mêmes procédures, les mêmes références qu’ils échangent et communiquent entre eux. Ils agissent à un premier niveau, celui du partage de l’information. Lors de questions et de réponses concernant des problèmes quotidiens, au fil de leurs interventions, ces interactions apparaissent sous un autre jour, celui de l’identification et de l’appartenance. En soumettant une problématique distincte, propre à un employeur ou à des travailleurs, en la détaillant et l’expliquant à leurs pairs ou autres ressources associées à la prévention et à l’inspection, en répondant aux requêtes soumises, en les bonifiant de leurs expériences du terrain et de leur pratique, de leurs connaissances formelles et informelles des dossiers et des personnes-ressources susceptibles d’aider à la recherche d’une solution technique, les inspecteurs et leurs associés organisationnels se rattachent désormais à une autre forme communautaire, celle d’une communauté de pratique qui incorpore, par ricochet, certaines composantes d’un co-apprentissage entre pairs.

Des formes collectives et multiples d’apprentissage, de perfectionnement, d’expertise naissent au sein de cette matrice virtuelle. Elles seront cependant de nature individuelle puisqu’il y aura absence de trajectoires et de stratégies conjointes et spécifiques, préalablement réfléchies, les liant à une résolution collective en réseau ( 6 ). À cet égard, la généralité du mandat et de la mission, de la perception que chaque acteur sur le terrain entretient à propos de sa fonction, de ses devoirs et obligations, prévaut sur la spécificité des problématiques présentées et soumises.

Jusqu’à un certain degré, l’inspecteur demeure le principal intimé, le maître d’œuvre de la construction de sa propre expertise, de sa propre compétence. La négociation ou la médiation des perspectives individuelles en trajectoires collectives est située comme en retrait du processus; elle appartient beaucoup plus au privé qu’au public. S’il y a présence de négociation et d’appropriation, ces processus se réalisent souvent de un à un au moyen du réseau informel des appels téléphoniques ou des rencontres en face-à-face (CSST, 2000a, 2000b, 2000c, 2000d, 2000e). La négociation et l’appropriation ne se fondent que plus tard dans un ensemble de réponses et de solutions collectives généré par le forum. Dans ce cadre, le processus de négociation et d’appropriation collective est moins perceptible que dans une approche-projet comme celle qu'adopte une petite équipe de travail autogérée. On en perçoit néanmoins les usufruits qui se transposent dans une vision partagée plus globalisante que spécifique, une co-expertise et une co-construction moins spontanées bien qu’étant résolutoires, un leadership partagé bien que diffus, une forme générique d’intelligence collective, somme toute, perceptible et opérante.

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HYPOTHÈSES DE TRAVAIL, ATTRIBUTS ET PROPRIÉTÉS DES FORUMS DE DISCUSSION

 

La communauté de pratique issue d’un forum de discussion appartient en soi au monde de l’interprétation, de la négociation, de la conciliation et de la vision partagée. Elle est toujours orientée vers la co-construction de stratégies collectives et applicables à une résolution de problèmes, et se commet grâce à une pratique distincte, définie et fondée sur une coopération et une collaboration entre ses membres participants. La communauté de pratique revêt un caractère d’intention qui sollicite ses acteurs à assumer et à se partager des responsabilités et des rôles conjoints. Elle transpose des formes variées de co-assistance et de co-entraide qui sont générées grâce aux propriétés de l’empowerment, du coaching, du mentorat et de l’apprentissage par les pairs. Ces moyens sont circonscrits à un environnement technologique constitué d’outils électroniques d’information et de communication qui permettent de relier tous ces acteurs. Sa démarche est coordonnée tout en incluant des processus de légitimité, de validation et d’évaluation à la fois individuelle et collective. La communauté de pratique se met au service des buts à atteindre, en l’occurrence, la promotion et le soutien de la prévention de la santé et de la sécurité au travail, et de sa finalité exécutoire, celle de résoudre collectivement des problèmes variés et complexes par l’interaction concertée de ses membres qui gèrent quotidiennement la pratique de la prévention et de l’inspection dans divers milieux de travail.

Le forum de discussion projette une potentialité d’intelligence collective susceptible de se réaliser lorsque toutes les conditions idéales y sont réunies. Il offre des avantages notables que l’on désignera par cette série d’énoncés qui nous serviront d’hypothèses de travail (Benoit, 1999, p. 122). Théoriquement, le forum de discussion permet à la communauté de pratique de se développer et de finaliser ce pourquoi elle est conçue. Voici ce qu'il offre :

 

 

 

 

 

Ces énoncés poseront donc les bornes de ce que nous désirons évaluer dans la présente étude de cas. Chacun de ces points sera analysé à partir des transcriptions que nous avons dépouillées dans le forum de discussion des inspecteurs et de la base de connaissances "Information en prévention et inspection". Avant de procéder, un portrait de famille s’impose, ne serait-ce que pour donner une idée précise des interactions du forum de discussion et des publications versées à la base de connaissances.

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ANALYSES QUANTITATIVES ET QUALITATIVES DU FORUM DE DISCUSSION DES INSPECTEURS ET DE LA BASE DE CONNAISSANCES INFORMATION EN PRÉVENTION ET
INSPECTION

 

 

Durant deux ans, soit de 1998 à 1999, quelque 90 personnes, bon an, mal an, ont participé au forum des inspecteurs ( 7 ). 250 questions ont été posées et 450 réponses ont été acheminées, de façon plus précise 146 et 294 en 1998 et 104 et 156 en 1999 (voir l’annexe 3). En moyenne, cela a requis 12,45 jours pour clore une discussion en 1998 et 10,17 jours en 1999 (voir l’annexe 3), soit environ un peu plus de deux semaines ouvrables, une statistique presque identique à l’année 1997 (voir supra). La fréquence annuelle entre les questions posées et les réponses soumises se chiffre, pour 1998, à 2 réponses pour chaque question et à 1,5 réponse pour 1999 (voir l’annexe 3), une diminution notable comparativement au ratio de 2,3 réponses enregistré en 1997 (voir supra).

Ces statistiques sont néanmoins plus éloquentes lorsque l’on considère les variations entre les catégories de fréquence. En 1998, 32,4 % des questions posées n’ont suscité qu’une réponse alors qu’en 1999, cette proportion grimpe à 38,2 %. On note également un accroissement du nombre de questions ayant produit deux réponses. De 17,9 % en 1998, ce ratio passe à 19,6 %, l’année suivante. On enregistre également une hausse au chapitre des questions restées sans réponse. De 21,3 % en 1998, la proportion atteint 27,4 % en 1999. Seul renversement de tendance notable : la décroissance des questions ayant cumulé trois réponses. D’un ratio de 14,4 % en 1998, ce dernier diminue à 7,8 % en 1999 (voir l’annexe 4). Cela donne un caractère individualisé au forum de discussion des inspecteurs, créant cette tendance de l’interrelation de un à un. L’interrelation de un à plusieurs ou de plusieurs à plusieurs ne se manifeste que dans une perspective globalisante, celle de l’analyse d’un ensemble où les dividendes collectifs ressortent grâce à une compilation indexée à travers l’archivage des interactions.

Au chapitre de la base de connaissances "Information en prévention et inspection", 41 personnes ont déposé en quatre années – de 1996 à 1999 – pas moins de 200 messages et publications produits de façon volontaire (voir les annexes 5 et 6). De plus en plus, cette base de connaissances se substitue à la banque de connaissances créée par le centre administratif de Montréal pratiquement en voie de déclin (voir la note 3). De fait, la base de connaissances est en pleine croissance. D’année en année, elle répertorie toujours plus de documents que l’année précédente : 24 en 1996, 45 en 1997, 52 en 1998 et 79 en 1999.

Les principaux acteurs ont été les intervenants sur le terrain, en particulier les inspecteurs qui ont généré annuellement entre 57 et 60 % des interactions souscrites (questions et réponses confondues) dans le forum des inspecteurs et 30 % des dépôts associés à la base de connaissance "Information en prévention et inspection" ( 8 ). Dans le cas du forum de discussion des inspecteurs, le ratio augmente, en moyenne, annuellement, à près de 70 % (68,1 % des questions et réponses confondues) si l'on regroupe tous les intervenants sur le terrain et à 63,5 % dans celui de la base de connaissances (voir les annexes 1 et 5). En 1998, 57 intervenants sur le terrain, dont 45 inspecteurs, et en 199, 58 intervenants sur le terrain, dont 48 inspecteurs, ont ainsi participé au forum de discussion déclassant nettement les autres catégories (voir la note 7 et l’annexe 1). À l’intérieur de la base de connaissances, les inspecteurs assurent 46,3 % de la participation active sur les quatre années, 58,5 % si l'on y inclut tous les intervenants sur le terrain (directeurs régionaux, chefs d’équipe en prévention et en inspection et inspecteurs) (voir l’annexe 5). Force est donc d’admettre que les deux outils technologiques sont bel et bien appropriés par les principaux acteurs, ceux chargés quotidiennement de promouvoir, soutenir et prévenir la santé et la sécurité du travail dans les divers milieux d’activité économique au Québec.

Certaines régions se sont démarquées des autres tant des points de vue des questions posées et des réponses soumises que du nombre de participants. La première en liste est la région du Saguenay-Lac Saint-Jean qui cumule 33 questions et 31 réponses en 1998 et 21 questions et 16 réponses en 1999. Onze des 12 participants en 1998 et 9 des 10 participants en 1999 proviennent de la catégorie des intervenants sur le terrain (voir l’annexe 2). Cette direction régionale a donc su mettre à profit toute l’expertise construite à partir d’un projet pilote mis en branle en 1996 ( 9 ). Les autres régions ayant souscrit à ce projet (Québec, Mauricie-Bois-Franc, Chaudières-Appalaches) ont eu des rendements que l’on pourrait qualifier de moyens. Toutefois, l’espace virtuel, à l’instar du Saguenay-Lac-Saint-Jean, est occupé par les principaux acteurs, ceux qui ont le mandat et la mission de promouvoir, soutenir et prévenir la santé et la sécurité au travail dans les entreprises québécoises.

Les directions régionales de la Côte-Nord, de Richelieu-Salaberry, de Montréal 2 et de Longueuil affichent toutes des statistiques supérieures aux trois précédentes régions. La Côte-Nord, avec ses 19 questions posées et ses 15 réponses soumises en 1998, ses 9 questions et ses 11 réponses, en 1999 ressort du lot de même que la direction régionale de Richelieu-Salaberry, avec ses 14 questions et 31 réponses en 1998 et ses 13 questions et 7 réponses, en 1999 ou celle de Montréal 2, avec ses 9 questions et 21 réponses en 1998 et ses 8 questions et 9 réponses en 1999. À l’exception de la région de Montréal 2, dans une moindre mesure, toutes les interactions sont transmises par les intervenants sur le terrain. La seule exception à cette longue succession de similitudes est le centre administratif de Montréal, auteur de 13 questions et de 37 réponses en 1998 et de 8 questions et de 32 réponses en 1999. Du personnel administratif et professionnel, ce sont les bibliothécaires qui sont les plus engagées tant au regard de la participation qu’à celui des réponses soumises (voir l’annexe 2).

Au chapitre de la base de connaissances "Information en prévention et inspection", là encore la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean se démarque des autres constituantes sans toutefois cumuler un plus volumineux actif que les officiants de la région de Yamaska, du centre administratif de Montréal et du siège social que l’on doit pondérer, dans ce dernier cas, avec une certaine prudence (voir l’annexe 6). Au fur et à mesure de la croissance annuelle des dépôts, les intervenants sur le terrain augmentent leur participation de sorte que, finalement, quelques régions comme Longueuil, Québec, Chaudières-Appalaches se distinguent dans la même mesure que celles de Yamaska et du Saguenay-Lac-Saint-Jean.

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Lorsqu’on analyse les interactions compilées mensuellement, tout porte à croire que, statistiquement, on assiste à un certain plafonnement de l’activité de communication et d’échange entre pairs (voir l’annexe 3). L'année 1998 présente effectivement beaucoup plus de mois où l’on recense plus d’une dizaine de questions posées (10 mois) et plus d’une trentaine de réponses soumises (5 mois). L'année 1999 apparaît pour le moins improductive avec ses cinq mois de plus d’une dizaine de questions posées et son seul mois de plus d’une trentaine de réponses soumises. Une lecture médiane confirme d’ailleurs cette particularité manifeste. En 1998, la moitié des questions posées et des réponses soumises sont affichées dès les mois de mai et d’avril alors qu'une telle chose ne se concrétise qu’à partir de juin pour l’année 1999.

Ces statistiques pourraient nous induire en erreur si nous ne considérions pas le degré de participation. Durant les deux années d’activité du forum de discussion des inspecteurs, comme nous l’avons déjà exposé, cette variable demeure très stable (voir la note 7). De 1998 à 1999, la catégorie du personnel administratif et professionnel de même que celles des chefs d’équipe en prévention et inspection et des inspecteurs connaissent une légère croissance. Seules les catégories des spécialistes et conseillers en prévention, en inspection et en réadaptation et des directeurs régionaux accusent une baisse à peine perceptible au cours de ces mêmes années (voir l’annexe 1).

Cela signifie sans doute que le forum a atteint une certaine maturité. Il existe de fait un code informel de procédures. D’une part, les intervenants sur le terrain, notamment les inspecteurs, n’ont jamais vraiment délaissé leur réseau de contacts personnels (contacts téléphoniques, rencontres en face-à-face) pour requérir les informations usuelles permettant de traiter les affaires courantes reliées à leurs rôles et responsabilités (CSST, 2000b, 2000c, 2000d). D’autre part, le processus de sollicitation et d’interpellation des pairs, par le forum de discussion, n’intervient que lorsque le requérant a consulté et visionné toutes les autres sources de connaissances ("Domaines questionnés", base de connaissances "Information en prévention et inspection", "Banque de connaissances prévention et inspection, autres sources d'information; CSST, 2000b). Seules apparaissent maintenant les questions réellement litigieuses, les cas particuliers, pourrions-nous dire, les problèmes sortant de l’ordinaire qui suscitent un "Appel à tous".

Une partie de ces problèmes a été compilée, classée, indexée, analysée et déposée, à titre de références, dans l’environnement de travail de la fonction prévention et inspection. Une richesse de savoirs et de savoir-faire, de connaissances explicites et tacites, s’est donc accumulée au fil des ans, de la pratique quotidienne questionnée, revue, corrigée puis bonifiée de l’expérience vécue par les divers officiants préoccupés de prévention et d’inspection et dès lors emmagasinée dans une mémoire organisationnelle virtuelle. Sous cette perspective, l’hypothèse d’une baisse de régime devient pour le moins caduque et sans fondement. Quatre années de compilation et de classement démontrent que plusieurs problématiques compliquées ont été explorées et analysées pour être résolues selon les circonstances et les connaissances du moment. Bien sûr, tout continue à tourner et à évoluer; le travail quotidien est assujetti à de nouvelles conjonctures; de nouvelles questions, de nouvelles réponses appellent de nouvelles solutions.

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Les forums de discussion en temps asynchrone possèdent des attributs et des propriétés que nous avons déjà exposés dans la section 4 de cette étude. Caractérisant la communauté de pratique, ces attributs et propriétés sont aussi valides pour explorer et prospecter des formes communautaires hybrides du type de celle engendrée par les interactions du forum de discussion des inspecteurs. Ces énoncés s’articulent tous autour de points centraux : co-expertise, co-apprentissage, co-construction des connaissances, résolution de problème, transfert, intelligence collective, mémoire. À l’exception de la notion de mémoire qui sera traitée dans la dernière sous-section de cette partie, nous nous attarderons, à travers l’exposition de cas concrets, aux incidences engendrées par ces dénominateurs communs, à savoir le partage de l’information, l’acquisition de nouvelles expertises, de nouvelles compétences, la transversalité des expériences, la distribution élargie des savoirs et des savoir-faire, la recherche de l’excellence.

La première variable, celle du partage de l’information formelle, la plus simple à recenser, est facilement repérable dans le forum de discussion des inspecteurs. Généralement, les questions suscitant le plus grand nombre de réponses (6, 7, 8 ou 10 réponses et plus) ont un caractère d’échange et de communication d’informations formelles. En soi, les interpellations sont neutres et se circonscrivent à des paramètres d’ordre administratif.

Quelques exemples suffisent pour en démontrer toute la portée. En janvier 1998, dans une question, on s’enquiert auprès des directions régionales de l’identité et des adresses des contractants et entrepreneurs spécialisés dans l’enlèvement de l’amiante; pas moins de huit réponses échelonnées sur une période de 0 à 245 jours parviennent au destinataire. Deux mois plus tard, en mars de la même année, un autre participant désire connaître le nom des intervenants régionaux travaillant dans le secteur des pâtes et papier ainsi que l’identité des entreprises en activité; 18 réponses sont retransmises sur une période de 0 à 40 jours.

À l’intérieur de ces échanges formels se glissent quelquefois des requêtes traduisant une appartenance professionnelle de même que le sens d’une identité qui renforce l’action de ses membres. En mai 1998, le congrès de l’AQHSST (Association québécoise pour l'hygiène, la santé et la sécurité du travail), tenu à Laval, suscite pas moins de sept réponses, réparties entre 1 à 25 jours, soutenant l’intervenant s’étant vu refuser le droit d’y participer par son répondant administratif. En novembre 1998, l’initiative d’un directeur de la santé et la sécurité, participant à un newsletter américain sur la santé et la sécurité au travail, débouche directement sur le dépôt du périodique mensuel Bulletin Safety Currents à l’intérieur de la base de connaissances "Information en prévention et inspection" au début du mois de décembre et tout au cours des trois premiers mois de 1999. Cette action est soutenue par 10 répondants intéressés qui manifestent leur appui entre le mois de novembre et le mois de janvier.

L’année 1999 est également témoin d’occasions de partager de l’information sur une base formelle; les interpellations sont toutefois moins fréquentes. En juillet 1999, dans une question, on demande l’identité des inspecteurs intervenant dans le secteur des affaires municipales afin de procéder à une mise à jour des effectifs couvrant ce domaine d’activité : 19 réponses, échelonnées entre 3 et 45 jours, sont transmises au requérant. En novembre 1999, c’est le nombre de campements forestiers qui retient l’attention : six réponses réparties entre zéro et neuf jours diffusent les renseignements requis. Toutes ces questions et ces réponses ont des caractéristiques communes: le contenu des messages est de facture simple et courte et ils sont circonscrits à la communication et à l’échange de données souvent factuelles.

Dans un genre analogue, le partage de l’information permet également de connaître les chantiers récents gérés par des intermédiaires, la sphère d’activité d’entreprises spécialisées, de retrouver des références à des incidents déjà compilés et traités, etc. Les messages transmis sont généralement courts et de nature informationnelle (à titre d’exemples, voir les réponses du 30 octobre et du 15 novembre 1998 concernant l’exposition volontaire à des radiations, des 1er, 2 et 4 mars 1999 concernant une marque d’automobile, des 6, 9 et 12 août et 9 septembre 1999 concernant l’identité d’un intermédiaire, des 27 et 28 septembre 1999 concernant un numéro de la Gazette Officielle, des 30 et 31 mars 1998, du 7 avril 1998, du 9 juillet et du 1er décembre 1999 concernant l’identification du secteur d’activité d’une entreprise spécialisée). Quoique étalés d’une façon variable dans le temps, au même titre que les précédents, ils répondent à une requête de type on the job situation, à une résolution de problèmes factuelle, tout comme les autres cas recensés plus haut.

Il existe également un partage de l’information plus orientée selon une problématique circonstancielle. Quelquefois, cela concerne la recherche et le repérage de solutions techniques adaptées au handicap d’un travailleur en réinsertion (casque de soudure à visière photosensible, perceuse à serrage manuel, outil pneumatique de vissage, ceinture-réceptacle pourvue d’un contenant à peinture pour un travailleur utilisant un fusil à jet, techniques d’affûtage de scies, etc.). Ces cas sont généralement bien exposés par l’ergonome ou la conseillère à l’intervention responsable du dossier. Les réponses, lorsqu’elles sont transmises, suggèrent des personnes-ressources, donnent de marques d’appareil et/ou l’adresse de fournisseurs. Certaines informations comportent même des rectificatifs, des suggestions, des commentaires basés sur des incidents similaires déjà survenus et traités (à titre d’exemples, voir les réponses du 22 avril et du 4 mai 1998 concernant les techniques d’affûtage d’une scie, celle du 12 mai 1999 concernant le casque de soudure à visière photosensible et celles du 15 et 29 novembre 1999 concernant la perceuse à serrage manuel). Une valeur interprétative est ainsi ajoutée à l’information factuelle. Cela permet de percevoir le problème sous des perspectives différentes et d’améliorer, en définitive, la résolution de problèmes.

En d’autres occasions, des intervenants rapportent des questionnements relatifs aux préoccupations d’employeurs intéressés à améliorer la santé et la sécurité de leurs salariés : l’utilisation d’une pédale pour le fonctionnement d’une perceuse à colonne, d’un crochet de levage avec un cran de sécurité pouvant être déclenché à distance, d’un avertisseur sonore de recul pour des chariots-élévateurs ou l’usage d’un couteau sécuritaire de type Exacto pour déballer des boîtes de carton dans le secteur de la quincaillerie, de bottes de travail procurant à la fois sécurité et confort à des travailleurs du secteur de la boucherie, de gants de maille pour des travailleurs du secteur des abattoirs. Les réponses transmettent des renseignements analogues aux précédentes : l’identification d’un outil approprié, de son manufacturier, de ses caractéristiques techniques, de fournisseurs, de personnes-ressources. Là encore, différentes suggestions sont annexées à l’information factuelle à partir de cas recensés (à titre d’exemples, voir les réponses des 6 et 12 janvier et du 1er mai 1998 concernant la pédale pour le fonctionnement d’une perceuse à colonne, celle du 25 février 1998 concernant les bottes de sécurité, celle du 28 août 1998 concernant le crochet de levage, celle du 9 novembre 1998 concernant l’avertisseur sonore de recul et celles du 22 octobre 1998 et du 19 novembre 1999 concernant les gants de maille). Ces cas, comme les précédents, génèrent des réponses du type on the job situation, bonifié, à l’occasion, d’une valeur ajoutée de nature interprétative.

De nombreuses demandes ont aussi trait à des besoins d’information spécialisée ayant pour but de prévenir d’éventuels accidents de travail comme la prévention des risques biologiques dans le secteur de l’administration publique et des affaires municipales, d’accidents occasionnés par des mélangeurs alimentaires, des mesures de sécurité requises pour des monteurs d’acier travaillant dans des conditions climatiques défavorables, des employés responsables de nettoyer des espaces clos présentant une ouverture réduite d’accès dans le secteur des mines, des signaleurs affectés au déblaiement des rues et des routes en hiver, du respect des limites de vitesses sur les chantiers de construction, du danger d’utiliser des téléphones cellulaires à proximité de détonateurs électriques, de cadenasser les trousses de premiers soins dans le secteur des scieries, de se servir d’un type de ski dans les centres de villégiature, d’une douche oculaire non conforme aux normes, de la démolition de murs abritant de l’amiante, de l’exposition au bioxyde de carbone, à la fumée de cigarettes. Dans une optique analogue, certains questionnements concernent plus particulièrement les conséquences du bogue informatique sur la sécurité des travailleurs dans les scieries, les procédures d’évacuation et les responsabilités des autorités lors d’alerte à la bombe, le transport sécuritaire des valeurs monétaires par des employés non formés, l’obligation d’avoir suivi des cours de sécurité générale pour des travailleurs de la construction ayant un rattachement extérieur à la province, l’argumentaire requis à la promotion de la prévention sur les chantiers de construction, l’interprétation légale d’une clause contractuelle concernant l’achèvement des travaux.

À de nombreuses reprises, le partage de l’information plus orientée se cantonne aussi à des problématiques de travail présentant des cas d’exposition au danger ou résultant d’accidents ayant causé des blessures graves (mutilations, fractures, coupures, etc.) et des mortalités tels que le détachement d’une grue mobile de son transporteur à roues, de l’explosion d’un dépoussiéreur, d’un pneu, d’une vitre d’auto, d’un réservoir d’essence, de l’utilisation d’une échelle sur un échafaudage mobile, d’un chariot-élévateur, de l’effondrement de structures de bois lors d’un étaiement, du déclenchement involontaire de tronçonneuses, d’incendies dus à des travaux de soudure.

Toutes ces références, ces cas, produits par les interactions du forum, par une pratique quotidienne et une intervention sur le terrain, renvoient à un type particulier de partage de l’information, celui d’une résolution de problèmes mise en perspective, en interrelation avec l’autre, le partenaire, l’associé, le pair. Il est question, bien sûr, ici, d’une résolution de type on the job situation, teintée, toutefois, d’un attribut de type just in time qui projette inévitablement des formes de co-expertise, de co-apprentissage et de co-construction des connaissances.

L’acquisition de nouvelles expertises, de nouvelles compétences à travers les processus de co-expertise, de co-apprentissage et de co-construction des connaissances implique ainsi la transposition écrite de la conjoncture et de la conjecture de la problématique, la mise en contexte, pourrions-nous dire. Vient ensuite le questionnement souvent exprimé par des interrogations directes du genre : Avez-vous déjà rencontré des cas analogues ? Existe-t-il d’autres normes ou règlements ? Avez-vous des connaissances particulières sur le sujet ? Avez-vous des suggestions et des recommandations à fairer ? etc. Au-delà de l’explicite apparaît en l’occurrence, la sollicitation du tacite, de l’expérience déjà vécue, assimilée, intégrée dans la pratique. L’expertise tout comme la compétence se révèlent dans la réponse transmise à un interlocuteur; les messages sont fortement teintés de perspectives interprétatives, d’attributs et de propriétés se référant à l’empathie, cette faculté de se mettre à la place de l’autre et à lui proposer des avenues résolutoires fondées sur l’expérience déjà éprouvée sur le terrain. Les exemples de ce type d’interactions sont variés et nombreux, à l’image même des diverses problématiques énumérées plus haut. Le développement de nouvelles expertises, de nouvelles compétences, renferme des dividendes jusqu’alors dissimulés : la recherche de l’excellence, la transversalité des expériences, la distribution élargie des savoirs et des savoir-faire. Quelques cas devraient suffire pour étayer cette affirmation.

Lors d’une intervention sur un chantier, les flèches et les treillis d’une grue mobile de 110 tonnes se détachent du châssis du transporteur à roues en soulevant une charge de 75 tonnes. Des boulons imperceptibles et dissimulés, retenant la grue au camion, ont tout simplement cédé sans que toutefois cela n'occasionne un accident funeste. Après avoir parcouru sans succès toute la documentation disponible, l’intervenant sur le terrain demande à ses pairs, par le biais de l’"Appel à tous" du 14 janvier 1998, de lui rapporter des cas analogues lui décrivant les causes potentielles d’incidents similaires et de lui suggérer des mesures préventives pour corriger cette situation. En l’espace de deux jours (voir les deux réponses du 15 janvier et celle du 16 janvier 1998), on lui répertorie des cas semblables qui lui permettent, un mois plus tard, de conclure son rapport et d’informer toute la communauté des rectificatifs préventifs apportés (voir le message du 16 février 1998). Une situation identique se produit lors de l’explosion d’un dépoussiéreur à la fin d’avril 1998. Pas moins de huit réponses sont transmises, deux dans les premières 48 heures, cinq, une semaine plus tard et une dernière, à la fin du mois de mai. Toutes renvoient à des dossiers et à des personnes-ressources, donnent des avis, des suggestions et des commentaires (voir les réponses des 28 et 29 avril, des 4, 5 (3), 7 et 28 mai 1998). Une interpellation relative à l’argumentaire employé pour convaincre de l’importance de la prévention sur les chantiers de construction (question du 5 février et réponses du 11 février et des 5, 20 et 23 mars 1998) projette également une trajectoire convergente, orientée en fonction d’une distribution élargie des savoir-faire et des savoir-être qui va au-delà du simple partage de l’information. On y recense des points de vue personnalisés comportant même un exercice fictif de "mise en situation" (réponse du 20 mars 1998).

Le 5 janvier 1999, un autre intervenant s’interroge sur la pertinence de cadenasser les trousses de premiers soins dans un milieu de travail. En trois jours, des réponses lui parviennent en rapportant des situations analogues dans d’autres secteurs d’activité économique; on y suggère des corrections pour résoudre le problème (voir les réponses du 6, 7 et 8 janvier 1999). Dans un autre dossier datant du 13 avril 1999, un travailleur chute d’une échelle installée sur un échafaudage mobile. L’intervenant constate la présence d’une lacune juridique dans le code de sécurité des travaux de construction. Il demande l’avis de ses pairs pour clore le dossier. Trois réponses sont acheminées dans un intervalle d’une journée et une autre, deux mois plus tard (voir la réponse du 13 avril, les deux réponses du 14 avril et celle du 5 juillet 1999). Toutes comportent des références à des dossiers, des avis et des interprétations de certains articles du code, à un questionnement inductif sur les méthodes de travail utilisées en pareil cas. Le 29 novembre 1999, un intervenant s’inquiète de l’absence de détecteur de bioxyde de carbone chez des travailleurs utilisant une empaqueteuse-scelleuse pour la conservation de la viande. Trois réponses sont communiquées les 6, 12 et le 20 décembre 1999. La dernière est particulièrement explicite et résolutoire. Ce type d’activité se produit toujours près des équipements de congélation qui fonctionne avec du CO2. L’intervenant est en droit d’exiger la présence d’un détecteur dans cette zone de travail; il résout du même coup le problème lié aux activités d’empaquetage.

Le transport de valeurs monétaires par des employés non formés (question du 11 février et réponses des 19 (2) et 27 février 1998), l’obligation d’avoir suivi des cours de sécurité générale pour pouvoir travailler sur un chantier de construction québécois (question du 15 juillet et réponses du 16 juillet (4) 1998), les normes concernant l’ouverture minimale d’accès dans un espace clos (question du 2 novembre et réponses des 2, 3 (3), 16 et 23 novembre 1998), le refus de travailler des monteurs d’acier dans des conditions climatiques défavorables (question du 27 novembre et réponses des 7, 21 (2) et 23 décembre 1998), la non-conformité normative d’un système de douche oculaire (question du 16 décembre et réponses des 16 et 23 décembre 1998 et du 12 janvier 1999), les conséquences du bogue informatique (question du 17 décembre et réponses des 18 et 22 décembre 1998, du 18 février et du 7 juillet 1999), l’utilisation d’un type d’équipement de ski dans des centres de villégiature (question du 10 mars et réponses des 12, 15, 16 et 18 mars 1999), l’explosion d’un pneu dans un garage (question du 9 juillet et réponses des 12 (3) et 14 juillet et du 1er septembre 1999) offrent également un ensemble d’interrelations et d’interactions du même genre. Dans chaque réponse se profilent des valeurs ajoutées reliées à la co-expertise, au co-apprentissage et à la co-construction des connaissances, des processus caractérisant, avec la co-gestion de l'information, une communauté de pratique en réseau performante. Les réponses sont toutes teintées, à divers degrés, par la recherche de l’excellence, la transversalité des expériences et la distribution élargie des savoirs et des savoir-faire. Comme toutes les autres citées précédemment, elles se transcendent au sein d’une mémoire organisationnelle vivante se construisant au fil d’une pratique quotidienne, personnalisée et individuelle, mais aussi partagée.

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Nous l’avons déjà commenté: l'outil de gestion des connaissances intitulé les "Domaines questionnés" s'est vu attribuer une fonction de préservation et de conservation à travers l’archivage des données issues du forum de discussion des inspecteurs (voir supra). C’est la première manifestation mémorielle facilement perceptible par tout non-initié et elle avoisine une base de connaissances intitulée "Information en prévention et inspection" qui est parallèle à la première. C’est le second objet de témoignage commémoratif qui a la particularité d’être la résultante directe d’une participation et d’un engagement plus conscient et plus intentionnel. C’est le fruit de l’identité et de l’appartenance à une communauté spécifique, à une pratique distincte, car cette base de connaissances se construit exclusivement à partir du volontariat.

En 1996, on y recense surtout des cas de refus de travail associés à une organisation gouvernementale bien connue (voir les dépôts des spécialistes en prévention et inspection et des inspecteurs). Les informations sont alors très bien ciblées. Elles n'exposent qu’une infime partie des activités liées à la fonction couverte par la prévention et l’inspection dans les divers milieux de travail. En 1997 apparaît une toute nouvelle littérature. Quelques cas de refus de travail y sont encore exposés bien que les dépôts dans la base renvoient maintenant à des références beaucoup plus diversifiées : guides préventifs, documentations d’information sur des appareils, avis de danger, dossiers d’intervention, dossiers ergonomiques, comptes rendus de participation à des congrès, des conférences de presse et des groupes de travail, compléments d’information sur des normes. Cette tendance à la diversification continue de s'observer en 1998 et en 1999. Les intervenants sur le terrain diffusent de plus en plus les résultats de leurs expertises qui ont été glanées au fil de leur pratique quotidienne. Les rapports d’enquêtes et les avis de danger côtoient des bulletins tirés d’une adhésion à un newsletter, des documents d’information sur des programmes d’intervention, des explications et des commentaires sur des ajouts à des législations et à des règlements, des comptes rendus de comités paritaires et sectoriels, des fiches et guides techniques sur un éventail d’activités requérant des mises au point à propos de la santé et de la sécurité au travail. Souvent sont annexés à ces corpus documentaires, des références, des fichiers attachés, des photos, des liens hypertextes. C’est un véritable "routier" de l’information jugée pertinente pour d’autres pairs par des pairs engagés, au quotidien, d’une façon plus virtuelle (CSST, 2000b).

On dit souvent que la mémoire est une faculté qui faiblit avec le temps. Ici, cette mémoire contribue plutôt à maintenir actif le balayage du faisceau sur l’espace virtuel de collaboration que représente l'"Appel à tous" du forum de discussion des inspecteurs. Au même titre que les domaines questionnés, la mémoire consignée dans la base de connaissances "Information en prévention et inspection" permet d’éclairer un aspect particulier de la pratique, d’immobiliser le projecteur sur lui, pour que tous puissent en tirer des dividendes pouvant être transférés à d’autres contextes, d’autres roblématiques, d’autres interventions. Comme Winston Churchill l’exprimait après la victoire des Alliés en Afrique du Nord, c’est le début du début du commencement, en l’occurrence, celui d’une organisation qui éclôt, qui émerge, qui apprend d’elle-même en se dotant de lieux de mémoire propices à la rétention des faits et à la pérennité des résolutions.

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CONCLUSION

 

Les résultats décrits, analysés, interprétés et commentés dégage une impression de finalité et d’accomplissement. Le forum de diffusion et la base de connaissances procurent des acquis indéniables pour la CSST et les acteurs organisationnels qui l’ont initié, l’ont consolidé, l’ont animé au fil d’une pratique quotidienne jalonnée de questionnements, de réponses, de résolutions. Ses outils technologiques ont joué un rôle prépondérant dans le réalignement organisationnel. En l’espace de quatre ans, ils ont permis une coordination et une convergence de tous les officiants, décideurs, professionnels, intervenants, pour qu’ils puissent former une communauté branchée efficiente. Dans ce cheminement sont apparues des formes concrètes de télécoopération et de télécollaboration d’une organisation virtuellement intelligente, virtuellement apprenante. Partage de l’information, co-expertise, co-apprentissage, co-construction des connaissances, transversalité des expériences, distribution élargie des savoirs et des savoir-faire, mémoire identitaire et pérenne ont servi la fonction prévention et inspection en lui permettant de s’approprier, à l’aide du réseau électronique, de façon simple et efficace, des processus de résolution de problèmes complexes et variés. En prime, ce cyberespace a bel et bien été occupé par les intervenants sur le terrain, ceux-là mêmes qui se tiennent en première ligne, qui servent la clientèle de l’organisation au jour le jour, qui assurent la promotion, la prévention et l'application de la santé et de la sécurité au travail, du mandat et de la mission générale de la CSST. Nul ne peut désormais le nier.

De l’exercice, il ressort néanmoins une constante incontournable, celle intrinsèquement liée au type d’interrelations et d’interactions développées à travers l’expérience vécue et recueillie lors des entrevues. Les rapports sont foncièrement individualisés même s’ils présentent de fortes connotations collectives en termes de finalité et d’accomplissement. Ils s’inscrivent dans une perspective de soutien et de support aux actions menées sur le terrain. Tous les intervenants rencontrés soulignent l’importance et la continuité du recours au réseau téléphonique, aux rencontres en face-à-face. Les outils technologiques sont perçus jusqu’à un certain degré comme accessoires au même titre que la voiture, le téléphone et le télécopieur. Étrange paradoxe qui s’explique à travers un emploi de la technologie en réseau, somme toute, partiel et fragmenté par rapport à une accessibilité pleine et entière de tous les intervenants potentiels – tous ne sont pas conviés faute d’équipements appropriés – et, sans doute, par rapport à leurs disponibilités individuelles qui pondèrent les moments jugés opportuns pour s’approprier les outils technologiques et solliciter les pairs. D’un certain point de vue, la plupart des acteurs perçoivent d’une façon diffuse leur appartenance communautaire mais cela ne les empêche pas de profiter des usufruits.

Malgré ce bémol à la clé, cette étude de cas démontre, sans l’ombre d’un doute, la possibilité de travailler en réseau de façon simple, efficace, résolutoire et intelligente. L’organisation, comme tous les acteurs impliqués dans ce processus, retire des dividendes incontestables qui deviennent pérennes dans le temps et l’espace. Une certaine vision partagée et une certaine trajectoire collective se détachent de l’ensemble sans que l’on ne parvienne véritablement à leur attribuer une intention et une conscience réfléchies collectivement en tant que groupe restreint. Partage de l’information, expertise, apprentissage, construction des connaissances, distribution élargie, mémoire consignée et transfert sont effectivement au rendez-vous. Ces attributs et propriétés sont bien perceptibles dans le foisonnement interactif des résolutions de problèmes. Ils demeurent néanmoins l’apanage d’individus, de reflets personnalisés qui oscillent entre un rassemblement de personnes identifié à une fonction organisationnelle et un partenariat reposant sur une pratique communautaire assumée au quotidien.

De l’innovation avant tout et malgré tout. De l’innovation articulée autour d’une vision organisationnelle d’une approche-client soutenue par les nouvelles technologies de l’information et de la communication appliquées à une fonction et une pratique, celles de la prévention et de l’inspection. De l’innovation assumée par des décideurs et des participants, des pairs qui ont trouvé, à travers un environnement de travail communautaire et virtuel, des avenues et des voies simples et efficaces pour résoudre des problèmes complexes et variés. De l’innovation à consigner, à mémoriser, à développer sûrement en fonction d’une formation continue se déroulant désormais en réseau et répondant au besoin croissant d’une organisation apprenante. De l’innovation, somme toute, à co-construire…

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NOTES

1. Pour plus d'informations sur ce sujet, le lecteur se référera à l'étude de Jean-Paul Lafrance sur l'implantation d'intranet dans sept organisations canadiennes publiques et privées, dont la CSST, qu'il présente et commente aux pages 47 à 53 et aux pages 89 à 100 (Lafrance, 1998).

2. Les tableaux statistiques utilisés pour l'analyse quantitative de même qu'une bibliographie des références citées compléteront le corpus de cette étude de cas.

3. Cette banque de connaissances a été créée en 1984 bien avant que l'organisation se dote d'un environnement virtuel de travail. On a alors numérisé les documents pour qu'ils puissent servir de références aux questionnements suscités par la pratique associée à la prévention et à l'inspection. Au cours de la première année d'implantation du forum de discussion, en 1996, on y recense 129 fiches informationnelles. L'année suivante, en 1997, 50 fiches y sont consignées. En 1998, cette banque ne collige que 11 fiches et, en 1999, seulement 4 nouvelles fiches sont proposées à titre de référence et de soutien (CSST, 1999d).

4. Les contacts lors du dépouillement du corpus documentaire et les entrevues réalisées font resortir cette perspective résolutoire. (CSST, 2000a, 2000b, 2000c, 2000d, 2000e).

5. Ce sont généralement des spécialistes et conseillers en prévention et inspection, des directeurs régionaux de santé et de sécurité, des chefs d'équipe en prévention et inspection et des inspecteurs.

6. Les entrevues menées auprès d'acteurs engagés dans les processus du travail en ligne établissent toutes ce rapport individualisé avec l'autre. (CSST, 2000a, 2000b, 2000c, 2000d, 2000e).

7. En 1998, 92 personnes ont été recensées et 90 autres en 1999. Voir les annexes 1 et 2.

8. Nous avons classé en cinq catégories les participants au forum des inspecteurs et à la base de connaissances Information en prévention et inspection. La première catégorie concerne le personnel administratif et professionnel et la deuxième, les spécialistes et les conseillers en prévention, en inspection et en réadaptation. Les catégories 3, 4 et 5 regroupent les intervenants sur le terrain : les directeurs régionaux, les chefs d'équipe en prévention et inspection et les inspecteurs. Pour plus d'informations, nous renvoyons le lecteur aux annexes 1, 2 et 5.

9. Dès cette dernière année, les directions régionales de la Mauricie-Bois-Franc, de Québec, de Chaudières-Appalaches et du Saguenay-Lac-Saint-Jean ont bénéficié chacune de trois postes de travail pour initier leurs inspecteurs à l'environnement LotusNotes. (CSST, 2000b).

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BIBLIOGRAPHIE

 

 

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